Cour pénale internationale : confirmation de la condamnation de Bosco Ntaganda

Cet article a été publié dans le cadre du partenariat entre BDIP et la Clinique juridique de Lille - Pôle droit international.

Bosco Ntaganda a été condamné par la Chambre de première instance VI de la Cour pénale internationale (CPI ou la Cour) le 8 juillet 2019 pour la totalité des dix-huit chefs d’accusation de crimes de guerre et crime contre l’humanité en qualité de co-auteur direct et indirect pour meurtre, attaque intentionnelle de civils, viol, esclavage sexuel, persécution, pillage, transfert forcé de population, déplacement de population civile, conscription, enrôlement et participation directe aux hostilités d’enfants de moins de quinze ans, attaque de biens protégés et enfin destruction de biens de l’ennemi [Jugement, ICC-01/04-02/06-2359-tFRA, pp. 621 à 624]. Suite à cette décision, il a été condamné à trente ans de peine de prison le 7 novembre 2019 [Décision relative à la peine, ICC-01/04-02/06-2442, p. 117].

 Ce premier jugement a été à la hauteur des attentes de l’Accusation et des victimes pour plusieurs raisons. L’accusé a été condamné pour l’intégralité des chefs d’accusation qui lui étaient reprochés. Cette décision a été largement saluée après les critiques à l’égard de la Cour et notamment ses difficultés à prouver les violences sexuelles. Bosco Ntaganda est le premier condamné pour de tels crimes depuis l’acquittement surprise de Jean-Pierre Bemba par la Chambre d’appel le 8 juin 2018 [Arrêt relatif à l’appel interjeté par Jean-Pierre Bemba Gombo, para. 197]. La décision de la Cour suite à l’appel de Bosco Ntaganda était très attendue afin de savoir si une situation similaire à l’affaire Bemba se présenterait.

 Après des reports liés à la pandémie de la Covid 19, la Chambre d’appel a rendu sa décision relative au jugement le 30 mars 2021 (Jugement d’appel) et relative à la peine le même jour (Décision relative à la peine). La Chambre d’appel a confirmé l’intégralité du jugement du 8 juillet 2019 [Jugement d’appel, para. 1170], soit les dix-huit chefs d’accusation. La peine de trente ans de prison a également été confirmée [Décision relative à la peine, para. 284]. Au total, la défense de Bosco Ntaganda a soulevé quinze moyens d’appel concernant le jugement et le Bureau du Procureur deux moyens.

 Les éléments de procédure et de preuve

 Plusieurs prétendues irrégularités concernant la procédure et les modalités de preuve ont été soulevées par Bosco Ntaganda. Dans un premier temps, il est reproché à la juge Ozaki de ne plus faire preuve de l’indépendance requise par l’article 40 du Statut [Jugement d’appel, para. 75]. Sa récente attribution du poste d’ambassadrice du Japon en Estonie étant jugée par la Défense comme étant incompatible avec les fonctions de juge à temps partiel. La Chambre d’appel estime qu’un tel moyen ne saurait être soulevé à ce stade de la procédure [Jugement d’appel, para. 92]. Il est ensuite reproché à la Chambre préliminaire VI d’avoir violé le droit de Bosco Ntaganda à un procès équitable en employant des éléments de preuve ex parte, en dissimulant des éléments de preuve et en rendant un jugement expéditif [Jugement d’appel, para. 113]. La Chambre d’appel débute son analyse en rappelant que, même si l’emploi d’éléments ex parte doit être effectué avec parcimonie et dans les cas d’extrême nécessité [Jugement d’appel, para. 118], leur emploi dans cette affaire n’est pas contraire aux préceptes de la Cour [Jugement d’appel, para. 131].       

Il est également reproché à la Chambre de première instance d’avoir, lors du jugement, dépassé les charges initialement établies par le bureau du Procureur, en vertu de l’article 74(2) du Statut [Jugement d’appel, para. 300]. La Chambre d’appel estime ici que, bien que le Statut encadre la définition des charges, celle-ci ne doit pas être exhaustive de manière à enclaver le prononcé d’un jugement [Jugement d’appel, para. 344]. Enfin, il est reproché à la Chambre de première instance d’avoir commis des erreurs de droit et de fait en matière de preuves [Jugement d’appel, para. 569]. En effet, Bosco Ntaganda estime que son témoignage sous serment enfreint le droit de ne pas s’auto-incriminer, portant ainsi atteinte à la présomption d’innocence [Jugement d’appel, para. 570]. En réalité, la Chambre d’appel considère que ce choix sciemment pris par l’accusé soumet son témoignage aux mêmes règles imposées aux autres témoins, déboutant les prétentions de l’appelant [Jugement d’appel, para. 639]. 

La constitution et l’existence d'un crime contre l’humanité 

Concernant la constitution et l’existence d’un crime contre l’humanité, Bosco Ntaganda contestait l’existence d’une politique organisée au sens de l’article 7(2) du Statut ciblant la population civile. Étaient particulièrement contestés les éléments de preuve sur lesquels la Chambre de première instance a fondé son argumentation [Jugement d’appel, para. 349]. La Chambre d’appel affirme que la Chambre de première instance s’est justement fondée sur des constatations factuelles et conclut que la Chambre de première instance n’a pas commis d’erreur en considérant qu’il y avait une politique organisée visant à attaquer et à chasser les civils Lendu ainsi que ceux qui étaient perçus comme des non-ituriens [Jugement d’appel, paras 394-395].  

La Défense contestait également que l’attaque ait ciblé la population civile. En particulier, elle considérait que l’objet premier de l’attaque n’était pas la population civile. En réponse, la Chambre d’appel rappelle que l’article 7 du Statut requiert uniquement qu’une attaque ait ciblé une population civile, sans qu’il soit besoin que la population civile ait été l’objet principal de l’attaque [Jugement d’appel, para. 418]. Par ailleurs, la Chambre considère qu’au vu des éléments qui ont été soumis à la Chambre de première instance, cette dernière pouvait légitimement considérer que l’ordre d’attaquer une population civile avait été donné [Jugement d’appel, paras 396-529]. 

En outre, la Défense contestait la commission du déplacement forcé des populations, notamment en ce qu’elle considérait que pour commettre un tel crime, il fallait avoir un contrôle territorial [Jugement d’appel, para. 531]. La Chambre d’appel souligne cependant qu’aucun texte ne pose cette condition [Jugement d’appel, paras 550-557]. La Défense mettait en avant le fait qu’il y avait une différence entre un ordre n’ayant pas pour objet le déplacement de populations mais qui pourrait conduire à cela en conséquence et l’ordre de déplacer la population, au sens de l’article 8(2)(e)(viii) du Statut [Jugement d’appel, para. 532]. La Chambre d’appel considère néanmoins que la question de savoir si la personne est en mesure de donner effet à un ordre de déplacement de la population civile est une question de fait qui dépend du poste occupé par l'accusé et de ses responsabilités, notamment sa capacité à assurer le respect de ses ordres [Jugement d’appel, para. 559]. Elle va ainsi dans le sens du jugement de première instance établissant la responsabilité de Bosco Ntaganda pour le déplacement forcé des populations [Jugement d’appel, para. 568]. 

Parmi les autres contestations de la Défense figurait l'utilisation de mineurs de 15 ans en tant que gardes de Bosco Ntaganda. La Défense contestait en particulier la méthode utilisée par la Chambre de première instance pour déterminer l’âge des gardes, notamment le fait de s’appuyer sur des images vidéo [Jugement d’appel, para. 762]. Cependant, la Chambre d’appel affirme que la Chambre de première instance a justement pris en considération les preuves vidéo et les témoignages et qu'elle n'a conclu que les individus avaient moins de 15 ans que lorsqu'ils étaient manifestement en dessous de cet âge [Jugement d’appel, para. 769].  

La Défense contestait aussi le recrutement de mineurs de 15 ans, en particulier le témoignage de deux individus [Jugement d’appel, paras 791-794]. Néanmoins, la Chambre d’appel considère que la chambre de première instance a précisément étudié les témoignages afin de résoudre les différentes incohérences qui pouvaient apparaître [Jugement d’appel, paras 799-820]. Elle rejette donc tous les moyens soulevés par la Défense sur ce point [Jugement d’appel, para. 821].  

Le viol et l’esclave sexuel de mineurs de 15 ans était un autre point de contestation soulevé par la Défense. Ici aussi, la crédibilité de certains témoignages était remise en cause et Bosco Ntaganda considérait que la Chambre de première instance n’avait pas réussi à rapporter la preuve qu’il avait eu connaissance de la commission de tels actes [Jugement d’appel, para. 828]. La Chambre d’appel souligne pourtant que la Chambre de première instance a procédé à une analyse approfondie des témoignages, soulevant ainsi leurs incohérences [Jugement d’appel, paras 834-855]. C’est la raison pour laquelle la Chambre d’appel a également rejeté ce moyen [Jugement d’appel, para. 856]. 

La caractérisation de l’implication et de la responsabilité 

Plusieurs moyens d’appel ont été soulevés concernant la responsabilité de l’accusé et la commission de crimes par l’UPC/FPLC. Tout d’abord, Bosco Ntaganda a estimé que la chambre de première instance ne pouvait pas conclure au-delà de tout doute raisonnable qu’il avait connaissance de la conscription, du recrutement et de la participation active aux hostilités d’enfants de moins de quinze ans [Jugement d’appel, para. 861]. La Chambre d’appel a estimé qu’elle avait déjà conclu à la participation d’enfants de moins de quinze ans aux hostilités précédemment. De plus, la Cour estime que l’accusé n’a pas contesté les différents témoignages faisant état de recrutement et de participation d’enfants de moins de quinze ans [Jugement d’appel, paras 864-876].  

Bosco Ntaganda a également avancé que les juges de première instance s’étaient basés sur des témoignages non recevables pour conclure à la commission de certains crimes par l’UPC/FPLC [Jugement d’appel, para. 645]. Certains témoins auraient été motivés par des raisons obscures et des témoignages n’auraient pas été corroborés. La chambre d’appel a estimé que les juges avaient suffisamment motivé leur décision de prendre en compte ces témoignages [Jugement d’appel, pp 230-270].  

Les moyens d’appel 13, 14 et 15 concernent la théorie de la coaction et du contrôle du crime [Jugement d’appel, para. 879]. Ils concernent la qualité de membre d’un plan commun de Bosco Ntaganda et l’évaluation du mens rea de la première et de la seconde opération. La Chambre d’appel a rejeté l’intégralité de ces moyens d’appel et a confirmé l’utilisation du mode de responsabilité de la coaction indirecte [Jugement d’appel, para. 1144]. 

La confirmation totale du jugement de Bosco Ntaganda est une avancée fondamentale pour la CPI Elle répond aux nombreuses critiques quant à l’incapacité de l’Accusation de mener à bien des poursuites suite à l’acquittement de Jean-Pierre Bemba et l’arrêt de la procédure concernant Laurent Gbagbo. La Cour semble désormais dans un nouvel élan impulsé par la condamnation de Dominic Ongwen en février 2021 (pour en savoir plus voir article du blog - “Cour pénale internationale : Condamnation de Dominic Ongwen” par Eugénie Yameogo, Lucie Barroso, Mathilde Lambert et Miriana Exposito, à paraître le 7 mai 2021).

Augustine Atry, Léana Bontems & Tarecq Parmentier Chebaro

Augustine Atry

Augustine Atry est doctorante à l’Université de Lille et travaille sur le sujet « la place de la femme dans la justice transitionnelle ». Sa thèse est dirigée par Mme. la Professeure Ubéda-Saillard. Elle a obtenu le Master 2 Justice pénale internationale avec mention à l’Université de Lille en septembre 2020 et a commencé son doctorat en octobre de la même année. En parallèle de la préparation de ce diplôme, elle codirige le pôle droit international de la Clinique juridique de Lille et dispense des travaux dirigés de droit constitutionnel en Licence 1 pour le Pr J-P Derosier. Dans ce contexte sanitaire difficile, notamment pour les étudiants, elle est tutrice à l’Université de Lille dans le cadre du Programme « SOS étudiant » mis en place par la Clinique juridique de Lille. A terme, Augustine a pour objectif de devenir professeure des universités.

Léana Bontems

Après avoir obtenu sa licence de droit à l’université de Limoges, Léana s’est tournée vers des études bilingues en droit international à l’université Catholique de Lille. Elle a ainsi effectué un Master 1 en droit international public puis un Master 2 centré sur la protection internationale des droits humains. Dans le cadre de cette formation, elle s’est familiarisée avec le monde associatif en effectuant un stage au sein d’une association venant en aide aux prostituées. Elle a ensuite réussi l’examen d’entrée au CRFPA, ce qui lui a permis d’intégrer l’IXAD Nord-Ouest en tant qu’élève-avocate, dans l’optique d’obtenir le CAPA.

Tarecq Parmentier Chebaro

Après une licence de droit comparé à l’Université Saint Joseph de Beyrouth, du bénévolat auprès d’ONG locales visant à lutter contre les discriminations et les violences domestiques ainsi que des missions à caractère humanitaire pour venir en aide aux réfugiés syriens et palestiniens sur le territoire libanais, Tarecq a effectué une licence de droit français général à l’Université de Lille pour s’orienter ensuite vers un Master 1 droit public. Il s’est spécialisé en justice pénale internationale dans le cadre du Master 2 éponyme. Aujourd’hui, Tarecq est co-directeur du pôle de droit international de la Clinique juridique de Lille et prépare l’examen d’entrée au CRFPA au sein de l’IEJ de Lille et souhaiterait devenir avocat en droit international pénal.

Précédent
Précédent

Cour pénale internationale : condamnation de Dominic Ongwen à 25 années de prison

Suivant
Suivant

Dialogues Virtuels: Lutte contre l’impunité pour les violences sexuelles liées aux conflits en République Centrafricaine