Dialogues Virtuels: Lutte contre l’impunité pour les violences sexuelles liées aux conflits en République Centrafricaine

 

L’Equipe d’experts des Nations unies sur l’Etat de droit et les violences sexuelles liées au conflit et ses partenaires organisent depuis juillet 2020 une série de webinaires, baptisée les Dialogues virtuels. Cette série a été conçue pour permettre à des universitaires, experts, décideurs et praticiens de divers horizons de lancer des discussions et réflexions sur l’engagement des juridictions nationales dans la lutte contre l’impunité des violences sexuelles liées au conflit, en vue de contribuer au développement d’une réponse judiciaire toujours plus centrée sur les besoins des victimes et survivants. Le 17 novembre 2020, la quatrième session des Dialogues virtuels s’est concentrée sur le thème de la lutte contre l’impunité pour les violences sexuelles liées au conflit en République centrafricaine (RCA). Ce blog post approfondit les principales réflexions des panelistes.  

Une grande partie des parties aux conflits qui ont affecté la République centrafricaine (RCA) ont eu recours aux violences sexuelles, y compris pour mépriser, humilier les victimes, punir des communautés et terroriser les populations. Ce terrible constat a été documenté par de nombreux acteurs, qu’il s’agisse d’organisations de la société civile, ou de l’Organisation des Nations Unies notamment grâce au rapport mapping des violations des droits de l’homme commises entre 2003 et 2015, mais aussi dans les rapports annuels du Secrétaire général sur la question des violences sexuelles liées au conflit. Afin de lutter contre l’impunité de ces crimes, endiguer leur banalisation, et globalement contre l’impunité des auteurs de violations des droits de l’Homme, les autorités centrafricaines ont engagé des actions d’envergure et accompli des progrès notoires pour renforcer l’Etat de droit. Ces actions étaient principalement basées sur les conclusions du Forum de Bangui pour la réconciliation nationale de mai 2015, reprises pour nombre d’entre elles dans l’Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine (APPR-RCA). Il convient notamment de souligner la création et l’opérationnalisation de la première unité spécialisée pour enquêter sur les violences sexuelles, l’Unité Mixte d'Intervention Rapide et de Répression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants (UMIRR), qui a déjà transmis plus de mille procès-verbaux aux juridictions compétentes. Aussi, la création de la Cour Pénale Spéciale (CPS), juridiction hybride établie au sein du système judiciaire centrafricain pour juger des crimes internationaux, et l’établissement de nombre de ses mécanismes internes, tels que son Unité de Soutien et Protection des Victimes et Témoins, ou encore la stratégie d'enquête, de poursuite et d'instruction, ont permis à la Cour de prioriser les dossiers de violences sexuelles liées au conflit. Les dossiers de violences sexuelles liées au conflit représenteraient actuellement un tiers des affaires actuellement en cours devant la CPS. Enfin, l’établissement de la Commission, vérité, justice, réparation et réconciliation (CVJRR) chargée d'enquêter, d'établir la vérité et de situer des responsabilités sur de graves évènements nationaux, constitue également un progrès notoire. Cependant, dans un pays encore marqué par l’insécurité et un contexte politique fragile, quel est l’impact de ces avancées institutionnelles ?

Analyser la perception des populations sur ces efforts engagés pour renforcer la réponse judiciaire aux violences sexuelles liées au conflit est crucial, non seulement pour comprendre l’influence du renforcement de l’Etat de droit sur la consolidation de la paix et de la sécurité, mais surtout pour permettre à ces données d’informer les décideurs nationaux et internationaux. A cet égard, les études menées depuis trois ans auprès de plus de trente mille personnes par Harvard Humanitarian Initiative, en collaboration avec l'ONG centrafricaine Echelle - Appui au Développement, apportent des éclairages importants. En effet, les conclusions de ces enquêtes démontrent que les efforts engagés pour soutenir la réponse judiciaire pour les violences sexuelles liées au conflit ont un impact positif sur la confiance des populations en l’appareil judiciaire dans son ensemble. Ceci se traduit notamment par une augmentation des plaintes déposées auprès des forces de sécurité ou des juridictions pour de tels crimes, ainsi que par une stabilisation du niveau de confiance des répondants en la justice formelle. Néanmoins, force est de constater que ces études, et les témoignages des praticiens centrafricains, mettent aussi en exergue les enjeux persistants qui limitent l’apport d’une réponse judiciaire centrée sur les besoins des victimes et des survivants. En effet, très peu d’affaires ont été jugées et l’impunité prévaut en majorité pour les auteurs de ces crimes. Si l’insécurité prévalant sur une grande partie du territoire centrafricain demeure l’une des principales difficultés affectant tant les victimes et les témoins que les acteurs judiciaires, de nombreux autres défis limitent l’action de la chaine pénale tels que : le manque de compréhension par les victimes du processus judiciaire, de ses objectifs et de leurs droits ; le manque de capacité technique des acteurs judiciaires; la lente opérationnalisation de la CPS ; le manque de moyens techniques et matériels accordés au système judiciaire ordinaire ; ou encore le fréquent manque de respect des délais légaux de procédure et de jugement par les acteurs judiciaires.

Toutefois, les experts et praticiens ayant participé à la quatrième session des Dialogues virtuels ont démontré que de nombreuses pistes de solution peuvent d’ores et déjà être explorées, si les autorités nationales et internationales poursuivent leur engagement politique, technique et matériel en faveur de la lutte contre l’impunité en RCA. A ce titre, l'adoption d'une politique pénale claire, inscrivant la priorisation des cas de violences sexuelles devant les juridictions nationales et incluant une approche centrée sur les victimes, apparait essentiel. De surcroit, le renforcement des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale pourrait permettre de lutter efficacement contre des pratiques judiciaires néfastes, telles que la correctionnalisation du crime de viol, et permettrait également une meilleure intégration et mise en œuvre de la Stratégie nationale de protection des victimes et des témoins. Faciliter la coopération entre l’ensemble des acteurs judiciaires, en particulier entre les unités d’enquête, telles que l’UMIRR, et les parquets, mais aussi entre les juridictions ordinaires et la CPS, doit aussi devenir une priorité. A cet égard, l’appel du Procureur Spécial à développer un cadre de concertation entre les juridictions ordinaires et la CPS, afin de faciliter des échanges substantiels sur les dossiers pendants devant les différentes juridictions, mériterait d’être soutenu. Cependant, les efforts de coopération à engager doivent aussi se concentrer sur le développement d’échanges étroits entre les juridictions centrafricaines et la CVJRR, afin de soutenir efficacement le processus de justice transitionnelle. Par ailleurs, la société civile centrafricaine, grâce à des organisations telles que les Flamboyants, ou encore l’Association des Femmes Juristes de Centrafrique, a un rôle essentiel à jouer en matière d’éducation des victimes sur leurs droits, d’accompagnement de ces dernières tout au long du processus judiciaire, d’accès à des services médico-sociaux, et aussi de facilitation d’un dialogue entre les victimes et les institutions nationales, judiciaires et politiques. Ce dialogue apparait essentiel pour faciliter la prise en compte des multiples appels des victimes du conflit, et particulièrement les victimes de violence sexuelles, d’avoir accès à des mesures d’assistance et à des réparations.

Précédent
Précédent

Cour pénale internationale : confirmation de la condamnation de Bosco Ntaganda

Suivant
Suivant

Conférence en ligne: protection de l’individu contre les violences sexuelles