Convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité : réelle opportunité au regard des lacunes du droit international ?

Cet article a été publié dans le cadre du partenariat entre BDIP et la Clinique juridique de Lille - Pôle droit international.


Le 17 avril 2023, le Ministère public de la Confédération suisse transmettait son acte d’accusation à l’encontre de l’ancien ministre de l’intérieur gambien, Ousman Sonko, ce dernier accusé d’avoir participé à la commission de crimes contre l’humanité sous le régime de Yahya Jammeh. Actualité particulièrement retentissante dans le domaine du droit international pénal, elle invite également à s’attarder plus longuement sur les enjeux entourant la répression des crimes contre l’humanité.

Ces crimes constituent l’un des quatre crimes internationaux fondant la compétence ratione materiae de la Cour pénale internationale (ci-après « CPI »), avec le crime d’agression, le crime de génocide et les crimes de guerre. Pourtant, la lutte contre les crimes contre l’humanité ne dispose d’aucun texte à part entière. Ce constat semble d’autant plus surprenant dans la mesure où la CPI est saisie et condamne principalement pour ce chef d’accusation [Leila Nadya Sadat, Forging a Convention for Crimes Against Humanity, Cambridge University Press (2011) p. xxii-xxiii]. La nécessaire lutte contre l’impunité des principaux responsables de crimes de masse rend ainsi crucial de s’interroger sur cet actuel vide juridique, vide qui aurait cependant vocation à disparaître avec la ratification de la Convention pour la prévention et la répression des crimes contre l’humanité. Une telle convention serait-elle susceptible de garantir une lutte efficace contre ces crimes de masse, ainsi qu’une prévention effective en amont de leur commission ?

Le déclenchement tardif du processus de codification

Les crimes contre l’humanité sont consacrés dès la naissance du droit international pénal, que l’on date classiquement aux procès de Nuremberg et la rédaction du statut du Tribunal militaire international (ci-après « TMI »), dont le mandat était de juger les principaux responsables du IIIe Reich des crimes perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais le terme apparaît en réalité plus tôt : il a notamment été utilisé pour qualifier les crimes commis contre la population arménienne par le régime Ottoman en 1915. Il sera par la suite repris par les statuts des tribunaux pénaux successifs – tribunaux pénaux internationaux pour l’Ex-Yougoslavie et le Rwanda, et la CPI.

A la suite de l’institution du tribunal de Nuremberg, l’Assemblée Générale des Nations Unies demanda en 1946 à la Commission du droit international (ci-après « CDI »), organe des Nations Unies chargé de codifier le droit international, de produire un texte qui aurait vocation à réprimer au niveau international les crimes contre la paix (aujourd’hui crime d’agression), les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité (champ matériel du TMI de Nuremberg), ainsi que les crimes commis contre le personnel des Nations Unies. Cette tentative de codification aboutit en 1996 avec un projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Toutefois ce code n’entrera jamais en vigueur.

Face à cet échec, la nécessité de voir une cour universelle habilitée à connaître des crimes les plus graves demeurera tout de même intacte. C’est ainsi que le Statut de Rome instituant la CPI sera ratifié en 1998, statut dont l’article 7 sera consacré aux crimes contre l’humanité. Toutefois, l’idée d’un texte consacré à ces crimes ne disparait pas avec la ratification du Statut de Rome.

En 2012, le rapporteur spécial Sean D. Murphy propose que le sujet soit inscrit au programme de travail de la CDI. Trois rapports seront rendus entre 2015 et 2017, et le texte final sera adopté en première lecture en décembre 2017. Par la suite soumis aux observations des gouvernements et organisations internationales, le projet d’articles sera finalement adopté par la CDI en 2019. Le texte a ensuite été soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies. Après plusieurs années sans avancée, la 6ème Commission des Nations Unies (questions juridiques) a enfin pu échanger sur le projet d’articles de la CDI en avril 2023.Une nouvelle réunion intersessionnelle est prévue en avril 2024 dans le but de faire des avancées concrètes vers la négociation d’une convention sur les crimes contre l’humanité.

Mais au regard des autres textes précédemment évoqués, quel serait le réel apport d’une Convention relative aux crimes contre l’humanité ? Tout d’abord, le Statut de Rome ne possède pas de portée universelle, en comptant l’absence de pays tels que la Chine, la Russie ou les Etats-Unis, notamment dû au fait du caractère contestée de la compétence de la CPI qu’entraine la ratification du Statut. Une convention telle que celle proposée par la CDI permettrait ainsi l’engagement de plus d’Etats dans le processus de lutte contre ces crimes de masse.

En outre, une convention internationale permettrait, par l’obligation de réprimer les crimes contre l’humanité dans les législations nationales des Etats parties, en plus d’une harmonisation normative en la matière, un exercice plus effectif de la compétence universelle [Payam Akhavan, “The Universal Repression of Crimes Against Humanity before National Jurisdictions”, Forging a Convention for Crimes Against Humanity, Cambridge University Press (2011), p. 28]. La lutte contre les crimes contre l’humanité est une préoccupation majeure de la communauté internationale. Pourtant, une grande partie de la communauté internationale n’a pas encore adopté de législation réprimant ces crimes. Face à ce constat et dans un objectif de lutte contre l’impunité, le projet de convention apparaît comme une réelle opportunité au regard des lacunes du droit international. 

Des avancées non négligeables proposées par le projet de convention

La première avancée majeure du projet de convention consiste en l’apport d’une définition du crime contre l’humanité. En effet, jusqu’à présent, cette dernière n’est pas harmonisée parmi les législations nationales. Les enjeux d’une telle définition sont pourtant de taille car il s’agit de garantir la sécurité juridique des personnes accusées de tels crimes mais également de permettre aux États d’en poursuivre les auteurs.

 Le projet de convention cherche à remédier à cette lacune en proposant une définition claire et précise de ces crimes, en reprenant notamment la définition de l’article 7 du Statut de Rome à l’article 2 du projet d'article. Il exclut cependant le définition du genre offert par le Statut de Rome, jugée comme ne reflétant plus les avancées du droit international et la compréhension actuelle du concept de genre. Plusieurs organisations de la société civile demandent aujourd’hui aux Etats d’aller plus loin et d’adapter l’ensemble des dispositions concernant les violences sexuelles et basées sur le genre, en prenant en compte le genre dans les éléments constitutifs des crimes contre l’humanité (par exemple avec l’introduction du crime d’apartheid de genre ou des mariages forcés, ou encore la modification de la définition des grossesses forcées).

Parallèlement à la responsabilité pénale individuelle des auteurs de crimes contre l’humanité, le projet de convention prévoit, dans les mêmes termes que la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, une obligation pour les États de “s’engager à prévenir et réprimer les crimes contre l’humanité”. Par cette précision découlant de la jurisprudence de la Cour internationale de justice (ci-après « CIJ ») (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-Monténégro, 2007), les États ont en outre “l’obligation de ne pas se livrer à des actes constitutifs de crimes contre l’humanité”, affirmant ainsi que l’État est susceptible de commettre un crime contre l’humanité. Les Etats pourraient par conséquent voir leur responsabilité engagée devant la CIJ pour violation des obligations découlant de la convention.

Le préambule du projet érige en outre l’interdiction de commettre des crimes contre l’humanité en tant que norme impérative du droit international général, ou de jus cogens, mettant ainsi en évidence le caractère fondamental de la protection des individus contre ces crimes.

Concernant la place de la convention dans l’ordre juridique international, les rédacteurs indiquent de manière idoine que le projet n’entre pas en conflit avec les obligations des États découlant des instruments constitutifs des cours ou tribunaux pénaux internationaux, notamment la Cour pénale internationale. Il y a donc une complémentarité entre le projet de convention et le Statut de Rome. Ce dernier porte sur la relation “verticale” entre celle-ci et les États, tandis que le projet de convention met l’accent sur une relation “horizontale”, sur l’adoption de lois nationales et sur la coopération entre États. 

Mais là où le projet d’articles devient particulièrement innovant, c’est au regard des dispositions qu’il comporte en matière de coopération internationale. S’agissant de l’extradition tout d’abord, l’article 13§4 dispose que « chacune des infraction couvertes par les présents projets d’articles est de plein droit incluse dans tout traité d’extradition en vigueur entre les Etats en tant qu’infraction dont l’auteur peut être extradé ». Le 4ème paragraphe du même article précise que dans l’hypothèse d’une absence de traité d’extradition entre deux États, la convention constituerait « la base juridique de l’extradition pour toute infraction couverte par les présents projets d’articles ». Le projet traite également de la coopération entre Etats dans les domaines de la prévention des crimes contre l’humanité́ ainsi que des enquêtes, arrestations, poursuites, extraditions et châtiments visant les auteurs de ces crimes dans les systèmes judiciaires nationaux. La convention aurait ainsi un rôle majeur à jouer en amont de la commission de crimes contre l’humanité.

Toutefois, il est aussi nécessaire d’évoquer la nouvelle convention portant sur l’entraide judiciaire, adoptée le 26 mai dernier lors de la Conférence diplomatique Mutual Legal Assistance (MLA) à Ljubljana. Ce texte a en effet pour vocation d’améliorer la coopération internationale dans la lutte contre les auteurs de crimes de masse, tels que les crimes contre l’humanité. En s’exerçant de manière complémentaire, les deux conventions permettraient dès lors d’agir dans le respect du principe de complémentarité prévu par le Statut de Rome, c’est-à-dire directement au sein des ordres juridiques des Etats signataires, tout en assurant une lutte effective contre l’impunité grâce à une coopération facilitée.

Des obstacles à la future ratification ?

Lors de la 78ème session des Nations Unies, tenus en octobre 2023, de nombreux Etats ont réitéré leur soutien pour une convention relative aux crimes contre l’humanité.

Il subsiste cependant encore des divergences de vues sur le fond de certains projets d'articles, ainsi que sur le processus concernant le développement d`une convention internationale. Plusieurs Etats, tels que le Pakistan ou la Russie, considèrent qu’il était encore trop tôt pour se prononcer sur ce projet. La Chine met également en avant les difficultés liées au fait que le projet d’articles renvoie au Statut de Rome et soutient que cette association pourrait empêcher les Etats n’étant pas parties à ce dernier de ratifier la Convention. Il convient de préciser que ces Etats ne remettent cependant pas en cause la nécessité d’une telle convention.

Conclusion

Ainsi, du fait des multiples enjeux et opportunités découlant d’une Convention sur la prévention et la répression du crime contre l’humanité, les quelques obstacles mis en avant paraissent minimes au regard de l’importance de combler le vide juridique en la matière. Un consensus général sur la nécessité d'une telle convention semble aujourd’hui exister, et cela témoigne des progrès significatifs réalisés dans la reconnaissance universelle de la gravité de ces crimes et dans la recherche de moyens efficaces pour les prévenir et les punir.

Margot Chakoub & Ambre Marechal

Margot Chakoub

Titulaire du CRFPA et d’un Master I en Droit international et droit européen parcours Droit de l’Union européenne, Margot Chakoub dispose également d’un Master I de droit social et d’un diplôme universitaire de pratique pénale et criminologique. Elle a pu travailler au sein du cabinet de Maître Berton et Maître Belmokhtar ce qui a éveillé son intérêt pour le droit pénal international. Pendant ses stages d’élève-avocate, elle souhaite intégrer des cabinets de droit européen des affaires ainsi qu’une institution européenne.

Ambre Marechal

Etudiante en Master 1 Droit international et droit européen, parcours Justice Pénale Internationale, Ambre Marechal est depuis le début de ses études passionnée par le droit international, et notamment le droit international pénal. Diplômée d’une double licence en Droit et Langues Etrangères Appliquées de l’Université de Bretagne Occidentale, elle aspire à passer le concours d’entrée à l’école d’avocat afin de pouvoir défendre les victimes de crimes internationaux devant les juridictions nationales comme internationales.

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