France : Les conséquences limitées de la récente dénonciation d’un génocide des Ouighours en Chine par l’Assemblée nationale

CPI
 
 

La communauté ouïghoure est un peuple de nationalité chinoise et de religion musulmane vivant principalement dans la région autonome du Xinjiang. De longue date, ils revendiquent fortement leur identité culturelle et sont parfois considérés comme une menace par les autorités de la République populaire de Chine, qui semble avoir profité de la politique globale anti-terroriste initiée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, pour réprimer ce peuple et limiter sa liberté[1]. En 2013, le Comité onusien des droits de l’enfant était déjà préoccupé par le traitement réservé aux minorités ethniques en Chine :

Malgré les garanties constitutionnelles relatives à la liberté de religion accordées aux minorités ethniques et religieuses, [la Chine] continue d’adopter des règlements et des politiques qui imposent d’importantes restrictions aux libertés culturelles et religieuses de différents groupes d’enfants, notamment tibétains et ouïghours[2]

 
 
 

Selon les constats de l’Assemblée nationale française le 20 janvier 2022, les autorités chinoises recourent au travail forcé des Ouïghours, à leur surveillance et internement de masse dans des structures de détention, à la séparation des enfants de leur famille, ainsi qu’à des politiques de stérilisation massive et forcée. Ces mesures semblent avoir pour but de « provoquer la chute du taux de natalité des Ouïghours », conduisant alors à une politique globale de « sinisation et d’éradication de l’identité, de la culture et du peuple ouïghour »[3].

À la suite de sept autres États, l’Assemblée nationale française a récemment adopté une résolution[4] portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours. Elle considère en effet qu’il existe des « violences politiques extrêmes et systématiques à l’encontre du groupe ouïghour » avec « intention de détruire en tout ou partie le groupe ouïghour »[5]. L’Assemblée nationale condamne donc « ces crimes contre l’humanité et ce génocide et demande l’arrêt des politiques génocidaires, concentrationnaires et répressives mises en place par la République populaire de Chine »[6].

 
 

L’Assemblée a alors invité le gouvernement français à contribuer à la protection des ressortissants ouïghours sur le sol français face à toute intimidation ou harcèlement de la part de la République populaire de Chine, à « reconnaître officiellement et à condamner les crimes contre l’humanité et le génocide » perpétrés par la Chine et à « adopter les mesures nécessaires auprès de la communauté internationale […] pour faire cesser ces crimes et pour que les libertés fondamentales des Ouïghours et des autres minorités turciques soient respectées »[7].

Bien que cette résolution constitue un acte symbolique fort, sa portée est limitée par sa nature non-contraignante et l’importance des enjeux géopolitiques d’une action française concrète pour la protection de la communauté ouïghoure. Cette situation reflète alors tout particulièrement l’impasse de la dénonciation d’un génocide au plan international, et donc de la mise en œuvre pratique de la Convention sur la prévention et la répression du génocide[8].

La reconnaissance du génocide portée par la résolution française : un geste symbolique fort mais juridiquement limité

Sur la base des articles 6 et 7 du Statut de Rome et de l’article 2 de la Convention[9] pour la prévention et la répression du génocide, la résolution de l’Assemblée nationale reconnait plusieurs infractions commises par les autorités chinoises. Il s’agit de

Meurtres de membres du groupe, atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner leur destruction physique totale ou partielle, [et] mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe et transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Bien qu’elle consacre officiellement l’intérêt de la France pour la protection de cette communauté réprimée et la prévention d’un éventuel génocide, cette résolution n’est par nature pas pourvue de portée contraignante à l’égard du gouvernement français.

Cela interroge l’opportunité et la valeur d’un tel acte. En effet, malgré l’enthousiasme global à l’égard de la résolution récemment adoptée, sa valeur juridique est incertaine quand elle propose la condamnation des violences infligées aux Ouïghours et en demande l’arrêt à la République populaire de Chine.

L’Assemblée nationale semble en effet s’être ici engagée dans le système complexe des relations internationales alors que tel n’est pourtant pas vraiment son rôle. De manière plus générale, l’adoption de cette résolution pose donc la question de la qualification d’un génocide par une autorité interne, pas toujours légitime et apte à traiter des questions de droit international pénal.

C’est ainsi que la portée juridique de cette résolution est incertaine et contestable, étant donné que les conséquences qu’elle pourrait émettre sur le plan interne et au niveau international sont indépendantes de la volonté des députés français.

 
 

L’intérêt de la France pour la communauté ouïghoure : le dégagement de nombreuses possibilités théoriques de mise en responsabilité de la Chine

Malgré tout, le Président de la République française, Emmanuel Macron semble lui aussi s’engager partiellement dans la protection des droits de la communauté ouïghoure en Chine[10]. Puisque la France semble décidée à agir, il convient d’étudier ce qu’elle pourrait théoriquement réaliser pour prévenir ou sanctionner les violences infligées aux Ouïghours par les autorités chinoises. Le gouvernement français pourrait en effet se mobiliser au nom de l’État français sur le plan international, en vertu notamment des processus institutionnalisés qui se proposent à lui.

L’option la plus évidente est l’engagement de la responsabilité des autorités chinoises devant la Cour pénale internationale, cependant la Chine n’est pas partie au Statut de Rome donnant compétence à la Cour, comme l’a rappelé le Bureau du Procureur dans un rapport publié le 14 décembre 2020[11].

 

Dans une démarche analogue, la France pourrait exercer sa compétence universelle afin de poursuivre les individus qu’elle soupçonne de commettre le génocide ; cependant, cela ne peut découler que d’une requête du procureur de la république, et à la condition, entre autres, que la loi chinoise prévoit cette incrimination, ce qui n’est malheureusement pas le cas[12].

L’utilisation de l’article 9 de la Convention sur le génocide de 1948 permettant d’engager la responsabilité de l’État chinois devant la Cour internationale de Justice n’est également pas possible, étant donné que la Chine a émis une réserve à l’égard de cette disposition[13].

Au sein du système onusien, la France pourrait par ailleurs s’adresser au Conseiller spécial pour la prévention du génocide[14], afin qu’il fasse office de mécanisme d’alerte rapide du Secrétaire général sur la situation ouïghoure. Dans le même objectif, une Commission d’enquête internationale pourrait être formée à l’initiative du Secrétaire général afin d’investiguer sur la situation de la communauté ouïghour en Chine.

Enfin, l’action des Nations unies pourrait théoriquement être initiée par le Conseil de sécurité dans le cadre du chapitre VI de la Charte concernant les menaces à la paix et à la sécurité internationale. Le problème principal face à cette possibilité est le risque d’un véto chinois, ce qui bloquerait l’action du Conseil de sécurité. Cependant, l’article 27 de la Charte précise que dans ce cadre spécifique, « une partie à un différend s’abstient de voter », ce qui écarte l’éventualité d’un véto chinois face à une résolution concernant la situation de la communauté ouïghoure. Malheureusement, cela n’évacue pas la possibilité pour un État allié de la Chine, tel que la Russie, de mettre un veto à cette résolution.

L’article 6 de la Convention de 1948 propose une dernière hypothèse permettant la répression du génocide des Ouïghours en donnant compétence aux tribunaux nationaux de la République populaire de Chine. Cette éventualité se trouve cependant limitée par la problématique de l’accusation de fonctionnaires publics en exercice, exacerbée par la forte personnalisation du pouvoir omniprésente en Chine.

Ce dernier point met d’ailleurs en évidence les limites importantes que confrontent les enjeux géopolitiques à la dénonciation d’un crime international par un État ou une Organisation internationale, notamment quand le sujet étatique responsable du crime en fait partie.

 
 

« La vie humaine a différents prix » : l’importance de la Realpolitik face à la protection des droits de la communauté ouïghoure

En théorie, de nombreuses possibilités s’offrent à la France pour dénoncer le risque d’un génocide de la communauté ouïghoure par les autorités chinoises, d’autant plus que cette action est censée constituer une obligation imposée aux sujets primaires du droit international par la Convention de 1948 et le principe de la responsabilité de protéger, entérinée en 2005 dans le Document final du Sommet mondial[15].

La nécessité de porter assistance à la communauté ouïghoure se heurte pourtant à la réalité des relations internationales et aux limites importantes portées par la realpolitik. Cependant, « la vie humaine a différents prix »[16]. Comme l’affirmait en 2007 Anil K. Gayan, « la défense à tout prix des intérêts nationaux et militaro-stratégiques, indépendamment d’autres facteurs, est la considération prééminente »[17]. Certains Etats semblent donc délaisser l’intérêt global de l’Humanité, au profit de leurs intérêts géostratégiques individuels, à travers l’instrumentalisation du Conseil de sécurité, devenu un outil nationaliste aux mains des membres permanents.

C’est ainsi qu’au sujet de la cause palestinienne, il a été démontré qu’ « il est dans l’intérêt de plusieurs groupes comme de plusieurs États que ce problème ne trouve pas de solution »[18], alors même qu’il s’agit d’une situation alarmante concernant la protection des droits de l’homme[19].

La Chine est en outre particulièrement friande de cette politique étrangère, en se rendant parfois complice d’atrocités commises par d’autres Etats dans le monde, dans le seul but de promouvoir ses propres intérêts économiques et géopolitiques[20].

Les critiques à son propos se sont par ailleurs réduites depuis que cet État a émergé en tant que superpuissance, et cette tendance s’avère endurcie lorsque de telles accusations portent sur la politique interne de la Chine, théoriquement seule responsable des conditions de vie de sa population sur le territoire qu’elle contrôle.

En somme, les accusations de génocide portées par l’Assemblée nationale française vis-à-vis des autorités chinoises font face à des enjeux géopolitiques considérables, réduisant fortement la possibilité de poursuites à l’encontre de la République populaire de Chine et ses agents, quoi qu’alarmante et avérée soit la situation de la communauté ouïghoure depuis plusieurs années.

 

 

[1] V.FRANGVILLE et J. HEURTEBISE, « Crise ouïghoure : transformation et reconstruction des identités », Monde chinois, 63, 5-11.

[2] Comité des droits de l’enfant, Observations finales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques de la Chine, 29 octobre 2013, CRC/C/CHN/CO/3-4.

[7] Ibid.

[8] Assemblée générale des Nations unies, Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948.

[9] Ibid.

[12] Article 689-11, Code de procédure pénale français. Voir aussi W. ZHU et B. ZHANG, “Expectation of Prosecuting the Crimes of Genocide in China”, in R. Provost et P. Akhavan, Confronting Genocide, Ius Gentium: 173 Comparative Perspectives on Law and Justice 7, p.173.

[13] Comité international de la Croix-Rouge, Traités, Etats parties et Commentaires, (page internet).

[14] Le mandat du Conseiller spécial a été défini dans une lettre adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, 12 juillet 2004, S/2004/567.

[15] Sommet mondial des Nations unies, Document final, §138-139, 2005, [https://www.un.org/french/summit2005/overviewF.pdf]

[16] A. GAYAN, « La Realpolitik, élément incontournable des relations internationales », Revue internationale et stratégique, n° 67, 95-104, 2007, [https://doi.org/10.3917/ris.067.0095]

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Voir en ce sens : P. EDEN, « Palestinian statehood : trapped between rhetoric and ‘realpolitik’ », The International and Comparative Law Quarterly, n° 1, 2013, 225-39, [https://www.jstor.org/stable/43302695]

[20] Anil K. GAYAN approfondit cette critique de la Chine, notamment au sujet de la crise du Soudan à la fin du XXe siècle, op. cit. 12, p. 95.

Guillemette Jégou

Guillemette Jégou termine actuellement son cursus au sein du Master 2 Justice pénale internationale de l’Université de Lille. Passionnée par les relations entre le droit et la science politique, Guillemette débutera en 2023 une thèse sur ce sujet sous la direction de Madame Muriel Ubéda-Saillard.

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